Une brève histoire des collections
La bibliothèque municipale de Grenoble est une bibliothèque classée, en raison de ses collections patrimoniales importantes, d’État et possédées en propre par la ville de Grenoble. C’est à la bibliothèque d’étude et du patrimoine que ces collections sont conservées et valorisées.
Depuis son arrivée sur le siège épiscopale de la ville en 1726, l’évêque bibliophile et érudit Jean de Caulet constitue une bibliothèque personnelle de près de 34 000 volumes formée de livres imprimés, de précieux manuscrits, d’incunables et d’autres raretés acquises lors de grandes ventes aux enchères. À sa mort, sa bibliothèque, véritable bijou, intéresse les plus grands : Catherine II, impératrice de Russie, fait connaître son intérêt pour la collection alors qu’un prince milanais demande à trois libraires de l’examiner pour son compte. Toutefois, les élites de la ville ne sont pas prêtes de laisser partir la collection de l’évêque dans des mains étrangères. Sous l’égide du libraire-imprimeur André Faure, une grande souscription publique est lancée. En quelques mois, plusieurs milliers de livres sont réunis grâce à la générosité des Grenoblois et la bibliothèque est finalement rachetée au neveu de l’évêque, son héritier. En parallèle, les premiers souscripteurs se réunissent et élisent un conseil d’administrateurs chargé de trouver un bâtiment pour accueillir la nouvelle bibliothèque, d’assurer le transport des collections et de nommer le premier bibliothécaire : l’abbé Davaux. Le 6 mai 1774, l’institution ouvre pour la première fois ses portes au public. Elle est alors installée au cœur de l’actuel Collège-Lycée Stendhal. Aujourd’hui encore, on peut encore deviner l’inscription « bibliothèque publique » sur le fronton de l’ancienne entrée de la bibliothèque, passage du lycée.
Les 34 000 volumes de la bibliothèque de Monseigneur de Caulet, forment le cœur du fonds ancien de la bibliothèque. Ces ouvrages portent sa marque de possession, appelé ex-libris. Au fil des années, les 34 000 volumes de monseigneur de Caulet s’enrichissent grâce à de nombreux dons. À l’époque, les musées tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existent pas encore. Aux côtés des livres et de manuscrits de la bibliothèque s’ajoutent divers objets et curiosités : un cabinet de physique et d’histoire naturelle, une collection d’ornithologie et de minéraux, des monnaies et médailles antiques, ainsi que des momies et vases égyptiens, donnés à la bibliothèque par différentes personnalités, et notamment par les Antonins de Saint-Antoine-l’Abbaye en 1776. Ces ensembles formeront ensuite les premières collections de deux autres institutions grenobloises : le muséum et le musée, où elles sont conservées aujourd’hui.
La Révolution française marque une étape importante dans l’accroissement des fonds de la bibliothèque publique de Grenoble. La confiscation des bibliothèques des communautés et institutions religieuses, ainsi que celles des émigrés, viennent compléter et augmenter les collections de la bibliothèque. C’est par ce biais que la précieuse collection de manuscrits médiévaux et d’incunables du monastère de la Grande Chartreuse a intégré la collection municipale. En application d’un décret du gouvernement en 1803 qui crée les bibliothèques municipales, la bibliothèque est administrée par la ville de Grenoble à partir de 1807.
Dans les années qui suivent la Révolution, en dépit des aléas politiques et de difficultés financières, la bibliothèque se structure petit à petit grâce aux premiers bibliothécaires : l’abbé Ducros, nommé dès 1775 pour succéder à l’abbé Davaux, qui dut vendre une partie des livres confisqués pour accroître les moyens de fonctionnement de la bibliothèque, puis Jean-Gaspard Dubois-Fontanelle, trop âgé pour remplir sa charge et qui prend comme adjoint les frères Jacques-Joseph et Jean-François Champollion, de 1808 à 1815. Les deux frères travailleront activement à la promotion de la bibliothèque et mettront au point les premiers outils pour classer et cataloguer la collection : inventaires et registre d’entrée.
Jean de Caulet, évêque et prince de Grenoble
Dessin de Ferdinand Delamonce et gravure de Jacques Cundier
Pd.9 Caulet, Jean de (2)
Avec Gariel s’ouvre l’ère du professionnalisme. Il commence par plaider efficacement la cause de la bibliothèque auprès de la municipalité : des crédits importants pour l’achat de matériel et de livres lui sont attribués. Il sollicite également les particuliers pour des dons d’ouvrages, qui viendront considérablement enrichir la collection. C’est ainsi qu’en 1861, Mme Crozet, veuve d’un ami de Stendhal, fait don à la bibliothèque de tous les manuscrits de Henri Beyle en sa possession, comprenant son Journal, la Vie de Henry Brulard, Lucien Leuwen, Lamiel, ainsi que de la correspondance et de nombreux brouillons. Il organise également le traitement intellectuel et matériel de cette collection, pour qu’elle soit à la fois mieux protégée et plus facile d’accès pour le public : estampillage, catalogage alphabétique sur fiche, mise en place d’un atelier de reliure sur place.
Hyacinthe Gariel crée également ce qu’on appelle aujourd’hui encore le « fonds dauphinois », fonds local unique en France réunissant les ouvrages imprimés et manuscrits relatifs à l’ancienne province du Dauphiné : « [L’histoire du Dauphiné], celle de nos villes, de nos institutions, de nos enfants célèbres, etc. est entièrement à décrire […]. Tout ce que nous ferons pour nos histoires locales sera une précieuse contribution à l’histoire générale de France ; car ce n’est que lorsque toutes les histoires de province seront faites qu’on pourra écrire une histoire de France qui sera autre chose que celle de ses souverains ou celle de la ville de Paris. » (extrait d’un mémoire de Hyacinthe Gariel adressé au maire de Grenoble en 1844).
Enfin, c’est aussi à Gariel et son collègue conservateur du musée de peinture (créé en 1800), Alexandre Debelle, que l’on doit la création du Musée-bibliothèque de la place de Verdun. À l’étroit dans leurs locaux d’origine qui abrite aussi le lycée, les deux conservateurs obtiennent en 1862 l’appui du maire Eugène Gaillard, banquier fortuné, qui fit de ce projet « la dernière et plus noble affaire de son mandat ». Il dégagea la somme nécessaire pour la construction d’un bâtiment qui abriterait à la fois la bibliothèque et le musée. Le nouveau bâtiment, inscrit dans un contexte de profonde transformation de Grenoble, est achevé en 1872. C’est, à l’époque, l’une des plus grandes bibliothèques de France et un modèle. Elle abritera l’essentiel des collections municipales jusqu’au milieu du 20e siècle.
La dynamique impulsée par Gariel sera poursuivie par ses futurs collègues. Son successeur Edmond Maignien, qui prend son poste en 1883, dresse notamment le catalogue complet du fonds dauphinois, et un catalogue des incunables. De 1914 à 1918, en raison de la maladie puis de la mort d’Edmond Maignien en 1915, et de la guerre qui sévit, la bibliothèque est laissée dans un demi-abandon.
Edmond Maignien
Pv 13x18 Bibliothèque 3
À sa mort en 1938, c’est Pierre Vaillant, son adjoint depuis quelques années, qui prend le relais. Conservateur et chartiste, c’est un érudit qui développe la collection patrimoniale et multiplie les études sur les fonds conservés, tout en proposant des expositions de grande valeur scientifique. C’est aussi un pionnier de la « lecture publique », attaché à la diffusion du livre dans tous les foyers, bien au-delà du public d’étudiants, de savants et de chercheurs qui jusque là fréquentaient majoritairement la bibliothèque. Dans un contexte général de profonde mutation pour les bibliothèques publiques et de fort développement de la ville de Grenoble, il met en œuvre une politique active de déploiement des bibliothèques de prêt, « en construisant des branches dans les divers quartiers de la ville, pour mettre le livre à la disposition du lecteur qui ne vient pas le chercher » (P. Vaillant, « La lecture publique dans une ville universitaire et industrielle de 100 000 habitants : l’expérience de Grenoble », A. B. C. D., n°9, mai-juin 1953). Une de ses grandes innovations est la création d’un bibliobus urbain. De nombreuses annexes sont construites dans les années 1960 et 1970, pour constituer le réseau tel qu’il est aujourd’hui.
Pendant ses quarante années de direction, jusqu’en 1978, il accroît de façon très constante la collection, en développant les fonds autour de personnalités importantes du Dauphiné, comme Bayard ou Berlioz, ou encore en accueillant la collection de plaques de verre de la Société Dauphinoise d'Amateurs Photographes, très précieuse pour l’histoire du territoire dauphinois. Enfin, il refond entièrement les catalogues et en 1970 fait déménager toute la bibliothèque patrimoniale, beaucoup trop à l’étroit place de Verdun, dans la bibliothèque que l’Université vient de quitter boulevard du maréchal Lyautey, site qu’elle occupe aujourd’hui : le bâtiment offre une capacité de 30 km de rayonnages, des conditions climatiques adaptées, et de vastes salles pour accueillir les lecteurs.
En savoir plus sur le bâtiment du boulevard Lyautey.